Jean-Philippe Kohl, chef de la division Politique Ă©conomique Swissmem
La décarbonisation de l’économie augmentera la demande en électricité. Les gains au niveau de l’efficacité peuvent certes atténuer la croissance, mais pas la stopper. Par contre, la production d’électricité se réduit à cause de la suppression par étape du nucléaire particulièrement précieux au cours du semestre d’hiver. Rien n’est moins sûr quant à savoir si le déficit grandissant entre la consommation et la production indigène peut être couvert par les importations d’électricité : l’Allemagne veut renoncer tant au nucléaire qu’au charbon. De plus, la France réduit graduellement son parc de centrales nucléaires. L’accord sur l’électricité faisant défaut avec l’UE complique la situation pour la Suisse.
La consultation qui vient de prendre fin dans le cadre de la révision de la loi sur l’énergie (LEne) dénonce certes le problème de la sécurité d’approvisionnement, mais propose une voie qui ne permet pas d’atteindre le but visé.
En substance, la politique de la production d’électricité subventionnée doit simplement être poursuivie. De plus, le soutien de l’État doit être prolongé de cinq années jusqu’en 2035. Même si l’instrumentaire d’encouragement doit être conçu de manière à être « plus proche du marché », une subvention reste une subvention.
Avant la votation sur la Stratégie énergétique 2050 du 21 mai 2017, la politique avait assurée que les subventions n’étaient qu’un financement de lancement pour les nouvelles technologies. Raison pour laquelle elles doivent définitivement prendre fin à la fin 2030. Rompre une promesse seulement trois ans après la votation n’est pas crédible du point de vue politique et sent la « tactique du salami » à plein nez. La menace plane que les subventions permanentes soient introduites.
La poursuite de l’encouragement de la production d’électricité en fonction de la technologie ne contribue presque en rien au fait de garantir la sécurité d’approvisionnement en électricité durant le semestre d’hiver.
- L’électricité photovoltaïque (PV) est produite avant tout en été. Mais là , la Suisse n’a pas de problème d’approvisionnement. Il faudrait pouvoir rendre disponible cet excédent d’électricité en hiver. Aussi longtemps que ce stockage saisonnier ne peut pas être exploité économiquement, subventionner « un plan d’urgence solaire » n’a aucun sens.
- L’énergie éolienne est elle au moins essentiellement produite pendant l’hiver. Malgré cela, les éoliennes suisses ne peuvent que fournir une contribution minime à la sécurité d’approvisionnement. Il faudrait plus de mille éoliennes pour pouvoir remplacer de manière plus ou moins adéquate seulement une grande centrale nucléaire. En Suisse, la densité de population est telle que cela ne sera pas possible et la population n’acceptera aucune dégradation du paysage.
- L’hydraulique est en majeure partie flexible et plus apte à assurer la sécurité d’approvisionnement. À ce niveau, il y a quelques projets intéressants à réaliser, mais le potentiel ne doit pas être surestimé. Le recours autrefois au nucléaire a aussi été justifié par l’inquiétude de ne pas « inonder » les derniers recoins de notre pays. On s’imagine que l’énergie produite dans les centrales nucléaires suisses à hauteur de plus de 20 TWh devrait être produite par le biais de l’hydraulique. Les Alpes suisses deviendraient un énorme plateau de lacs.
- Et pour être complet : la production à partir de la biomasse restera insignifiante parce que trop chère et la géothermie n’existe actuellement qu’en théorie.
Dans ce contexte, Swissmem rejette la révision de la LEne. Elle ne contribue pas à garantir la sécurité d’approvisionnement future.
Les centrales à gaz et à gaz à cycle combiné ne font pas l’objet de la révision de la loi. Ces dernières pourraient combler le manque d’énergie en hiver qu’engendrera la mise hors service des centrales nucléaires. Toutefois, aussi longtemps qu’elles ne pourront pas être exploitées de manière économique et neutre du point de vue du climat (par ex. avec le captage du CO2 ou sur la base du gaz synthétique), elles ne pourront pas être justifiées au niveau de la politique climatique.
Conclusion : il n’existe actuellement pas encore de solution sur la manière de garantir la sécurité d’approvisionnement à l’avenir. Afin d’en obtenir une, il faut une amélioration urgente des conditions-cadres en politique énergétique et climatique. Les éléments suivants en font partie :
- Création d’un cadre propice à l’innovation : Dans ce but, il faut une libéralisation complète du marché de l’électricité qui favorise l’innovation et la concurrence en vue de nouveaux produits, services et modèles commerciaux. De plus, il faut éviter les régulations qui distordent le marché et supprimer les obstacles régulatoires qui entravent tout particulièrement les nouvelles technologies de stockage décentralisées. Le plus simple pour soutenir l’hydraulique serait d’adapter enfin le régime des redevances hydrauliques rigides et indépendantes du prix du marché (à la place de nouvelles subventions). Les potentiels technique et économique des nouvelles technologies doivent être testés par le biais de projets pilotes et de démonstration.
- Politique climatique ambitionnée et axée en conséquence sur l’économie de marché : L’objectif zéro net des gaz à effet de serre jusqu’en 2050 et une taxe d’incitation neutre au niveau du taux fiscal sur les agents énergétiques fossiles en font partie. La forte augmentation attendue de la demande d’électricité due à la décarbonisation et le manque d’énergie en ruban enverront les signaux de prix correspondants pour une extension de la production d’électricité neutre du point de vue climatique et axée sur les besoins. Il n’est pas nécessaire de poursuivre le subventionnement par l’État des capacités de production.
- Conclusion d’un accord sur l’électricité avec l’UE : L’implication de la Suisse dans la régulation et la gestion de l’échange d’électricité au-delà de la frontière a un effet positif sur la sécurité opérationnelle du réseau et ouvre à l’hydraulique suisse un nouveau potentiel de vente sur les marchés d’électricité « à court terme ».
- Poursuite de l’exploitation fiable et économique des centrales nucléaires suisses : Comme la dernière étude « System Adequacy 2030 » de la Commission fédérale de l’électricité (ElCom) le montre clairement, la sécurité d’approvisionnement élevée jusqu’en 2030 dépend fortement de la poursuite de l’exploitation des centrales nucléaires suisses. C’est pourquoi il faut faire en sorte que ces dernières puissent être exploitées le plus longtemps possible de manière fiable et économique. Ce qui offre à la transformation du système énergétique un temps précieux qui est absolument nécessaire pour les développements technologiques, leur adaptabilité, leur rendement et donc leur pénétration sur le marché.
Quel est le rôle de l’industrie MEM dans ce processus ? L’industrie MEM est tout simplement « l’industrie moteur ». Elle offre des solutions respectueuses du climat tout au long de la « chaîne de création de valeur énergétique » : de la production d’énergie (p.ex. turbines efficientes pour les centrales à gaz et hydroélectriques, composants clés pour les installations photovoltaïques) à la récupération d’énergie (p.ex. à partir des eaux usées), en passant par la distribution d’énergie (p.ex. transmission de courant continu à haute tension, technologie de commande et de régulation pour les réseaux intelligents), le stockage d’énergie (p.ex. composants pour la production d’hydrogène, de méthanol) et l’utilisation de l’énergie dans l’industrie, les ménages et la mobilité (p.ex. machines/appareils ménagers à consommation d’énergie optimisée, technique du bâtiment intelligente, solutions d’électromobilité et infrastructures associées). De ce fait, l’industrie MEM est une partie de la solution au problème énergétique et climatique !
Swissmem mise par expérience sur l’innovation et la confiance en la capacité des spécialistes à développer des solutions techniques qui peuvent être ensuite exploitées de manière respectueuse de l’environnement et économiquement. Le régime du subventionnement, en plus de l’objectif zéro net en 2050 et une taxe d’incitation neutre au niveau du taux fiscal sur tous les agents énergétiques fossiles, doit être définitivement abandonné à la fin 2030 comme cela l’a été promis à l’origine.
Chef de la division « Politique économique » / Directeur adjoint
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